Ernest Ouandié: Du Maquisard au Héros national fusillé. |
15 JANVIER 1971 - 15
JANVIER 2016: 45 ANS DÃJÃ DEPUIS L\'EXÃCUTION D\'ERNEST OUANDIÃ, \"LE DERNIER
DES MOHICANS\", LE DERNIER DES \"CHEFS MAQUISARDS\" DE L\'UNION DES
POPULATION DU CAMEROUN (UPC) Sur la grande place Ã
Bafoussam, les habitants de la bourgade sont rassemblés en silence en ce triste
15 janvier 1971 peu avant 11h du matin. Lâexécution des «rebelles» de lâUPC
aura lieu dâun moment à lâautre, et les badauds sont arrivés de toutes parts. Ernest Ouandié arrive, menotté,
encadré par la soldatesque locale; il marche droit, la tête haute et souriant,
à lâimage du militant infatigable quâil a été, en compagnie de deux de ses
compagnons dâinfortune. Lâatmosphère sur
la place est très lourde et imprégnée de tristesse. Il refuse quâon lui bande
les yeux, et attaché au poteau dâexécution non loin des locaux de la police
judiciaire, il préfère voir la mort dans les yeux. Face au peloton dâexécution, il sourit toujours, et ses dernières paroles,
prononcées haut et fort, resteront gravées dans lâHistoire, et dans la mémoire
du peuple camerounais. Il considère quâêtre exécuté pour la liberté de son pays
est un honneur, et exprime sa certitude quâaprès lui, dâautres continueront le
combat jusquâà la victoire. Il se met à chanter. à peine ses mots déposés dans les esprits de ceux qui sont là sur la grande place, le crépitement des armes retentit. Après la première salve, on entend la voix dâErnest Ouandié crier «Que vive le Cameroun», et il tombe, criblé de balles, aux côtés de Gabriel Tabeu alias Wambo le Courant, et du jeune Raphaël Fotsing. Un officier européen se détache de lâassistance, sâapproche de Ouandié mourant, sâagenouille auprès de lui, met la main à son étui de revolver, se penche en avant et tire à bout portant. Le Cameroun est officiellement indépendant depuis le
1er janvier 1960. Né en 1924 à Ndumla, arrondissement de Bana dans le Haut-Nkam, le jeune
Ernest Ouandié sera très tôt confronté aux injustices brutales des colons
français. Alors quâil nâest âgé que de 3 ans, la famille vivant à lâépoque Ã
Bangou, son père est déporté dans les plantations de café à Djimbong dans le
Haut-Nkam. Contraint aux travaux forcés, il y restera trois longues années
avant de revenir malade. En effet, sous le régime colonial de l\'indigénat, les colonies françaises
suivaient le Code de lâIndigénat, qui octroyait un statut légal inférieur aux
populations des colonies françaises. Les travaux forcés faisaient partie du
système des Taxes et Travaux forcés, corollaires aux Amendes et Peines, dont le
but était véritablement de tirer le maximum de profit des populations locales.
La plupart des grands projets coloniaux en termes dâinfrastructure, soit les
routes, les mines ou les plantations, étaient basés sur les travaux forcés
obtenus par des prisonniers qui purgeaient des peines spéciales arbitraires.
Les colons dâailleurs estimaient que ces « contributions » étaient le tribut Ã
payer par les indigènes pour la pacification, l\'accès à la «civilisation» et Ã
la protection. Dans la même perspective, l\'impôt apparaissait comme «la juste
rétribution des efforts du colonisateur, l\'application normale du droit absolu
d\'obliger les populations noires, auxquelles il apporte la paix et la sécurité,
à contribuer dans la mesure de leur moyen aux dépenses d\'utilité générale». Albert Londres, journaliste au Petit Parisien écrit dâailleurs en 1928 à propos des
indigènes africains que «ce sont les nègres des nègres. Les maîtres
n\'ont plus le droit de les vendre. Ils les échangent. Surtout ils leur font
faire des fils. L\'esclave ne s\'achète plus, il se reproduit. C\'est la couveuse
à domicile.» Bref, Ernest Ouandié naît dans un véritable bouillon de culture, et dès lââge de 9 ans son éducation est prise en main par son oncle Kamdeu Sango qui lâinscrit à école publique de Bafoussam. Il y côtoie même, pendant 3 ans, certaines futures têtes pensantes, dont Tagny Mathieu qui deviendra le président de la section du Nyong et Sanaga de lâUPC, et Feyou de Happy qui sera dans les affaires politiques et de sécurité dâAhidjo. Quittant ensuite Dschang, son CEPE en poche, il entre à lâÃcole Primaire Supérieure de Yaoundé, section enseignement, où il obtient finalement le Diplôme des Moniteurs Indigènes (DMI) en novembre 1943. Nous avons donc affaire à un homme dont les
convictions sont formées par les dures réalités du terrain dès son plus jeune
âge, un homme instruit et conscient de son environnement, et surtout doté dâun
amour infini pour sa patrie. Tous les ingrédients sont là pour mener Ernest
Ouandié sur le chemin de sa destinée qui est celle de contribuer à la
libération des consciences de ses compatriotes, et à la rébellion contre une
force dâoccupation brutale et sans remords. En tant quâenseignant, il subira de nombreuses sanctions disciplinaires
sous forme dâaffectations incessantes en raison de ses convictions politiques.
Bien que déstabilisant sur le plan logistique, ces déplacements favoriseront
une bonne diffusion de ses idées et de ses certitudes. Câest ainsi quâil
passera par Edéa, Dschang, Douala quartier New-Bell Bamiléké, Doumé, Yoko,
Batouri, Bertoua et finalement encore Douala. Dès 1944, parallèlement à son
travail dâenseignant à Edéa, il sâengage à lâUnion des Syndicats Confédérés du
Cameroun, affiliée à la CGT française, au grand désespoir des colons et du
gouverneur. Militant dès 1948 au sein de lâUnion des Populations du Cameroun
(UPC), il en est élu vice-président 4 ans plus tard. Le rythme de ses
affectations sâaccroît en même que la perception du danger par le colon envers
un homme quâil estime de plus en plus dangereux, et quâil faut chercher à saper
à tout prix. Mais rien ne peut arrêter lâélan dâun homme inséré dans un
mouvement dont lâobjectif et la détermination inusable, visent la libération du
pays de lâemprise coloniale. Ouandié est désormais chargé de lâorganisation du
mouvement et dirige la Voix du Cameroun au 2ème Congrès de lâUPC à Eséka. Ses pérégrinations forcées par lâadministration coloniale permettront lâimplantation de lâUPC dans le Mbam. Ouandié assiste au Congrès Mondial de la Jeunesse Démocratique en Chine, et voyage aussi à Paris et à Moscou. Les efforts de déstabilisation orchestrés par les colons nâentravent en rien la progression dâune vulgarisation des valeurs de lâUPC à travers le Cameroun, au rythme dâune traînée de poudre à canon, et ce malgré les vaines tentatives de lâadministration coloniale de garder le contrôle sur les responsables de lâUPC. Ouandié devient de plus en plus populaire, et va jusquâà critiquer
publiquement la voix deSedar Senghor appelé à la rescousse par la
France pour convaincre les camerounais dâabandonner leur revendication
dâindépendance nationale. Ouandié brave tous les interdits et contribue à la
marche du destin du Cameroun. Finalement, lâadministration coloniale française interdit lâUPC en 1955, après les nombreuses tentatives dâenrayer le mouvement à force de massacres et dâarrestations de militants et de cadres du mouvement. Les dirigeants de lâUPC entament ainsi le chemin de lâexil, et Ernest Ouandié se réfugie dâabord à Kumba, au Cameroun britannique, jusquâau moment où le mouvement y est également interdit à lâinstigation des autorités françaises. Mais lâUPC continue à se développer malgré la déportation de Ouandié avec une douzaine de ses collègues successivement vers Khartoum, Le Caire, Conakry et Accra. La lutte pour la popularisation et la recherche de moyens financiers et matériels devient de plus en plus acharnée après 1957. Lâorganisation est renforcée, ainsi que la formation des cadres. Le 1er janvier 1960,
le Cameroun devient indépendant, et Ahmadou Ahidjo, garant officiel du
néocolonialisme français au Cameroun, est élu Président en mai 1960. Le 3 novembre 1960, Félix Moumié, Président de lâUPC, est assassiné par empoisonnement à Genève par les services secrets français. Nous sommes en pleine guerre froide, et la neutre Suisse ferme les yeux, adhérant aux convictions occidentales à la mode, qui diabolisent ces nationalistes financés par le diable rouge communiste représenté par la Chine et lâUnion Soviétique. Le Cameroun ressemble davantage à un département français dâoutremer quâà une république indépendante et souveraine. Ernest Ouandié prend la direction de lâUPC, et devient lâennemi public no 1
de lâadministration néo-coloniale. Revenu clandestinement au Cameroun afin de
poursuivre la lutte sur le terrain, il dirige, organise, et forme sans relâche.
Les autorités ont voulu la guerre, et désormais ce ne sera plus que par la
guerre que lâUPC pourra se faire entendre. Dès 1962, Ouandié monte une école de cadres politiques et construit des
centres de soins. Très activement recherché, il échappe à plusieurs trahisons,
et se replie dans le Haut-Nkam. Pendant neuf ans, il résiste de façon très solitaire, peu à peu privé du
renfort de ses bases arrières, sans aucun ravitaillement, traqué
impitoyablement par une armée néo-coloniale assujettie à la France, et qui a
juré sa perte. Doté dâun mental sans pareil qui dépasse de loin celui de ses
pairs, il est progressivement abandonné et trahi par les siens. Il fini par se
rendre lui-même en août 1970 et se laisse arrêter sans opposer de résistance. Torturé et interdit de toute visite de ses avocats pendant six mois, il est jugé par le Tribunal militaire de Yaoundé en décembre 1970, dans le-dit «procès de la rébellion». Il écoutera la tête haute le verdict de sa peine capitale. Entre un Ahmadou Ahidjo Président et un Paul Biya
Secrétaire-général adjoint à la présidence, malgré un mouvement international
de protestation contre les conditions inéquitables de son jugement, Ouandié est
transporté à Bafoussam, et exécuté publiquement le 15 janvier 1971. Reposant au cimetière de lâéglise protestante de Bafoussam, il sera
réhabilité en 1991 par lâAssemblée Nationale du Cameroun et proclamé Héros
National. La morale de cette histoire se trouve dans lâesprit des Camerounais
dâaujourdâhui, et surtout de ceux qui se disent cherchant lâémancipation du
Cameroun et sa libération des griffes dâun pouvoir népotique et profondément
destructeur. à 45 ans de lâexécution/assassinat dâErnest Ouandié sur la place appelée
aujourdâhui Place des Martyrs de Bafoussam, la question cruciale est de savoir
où nous en sommes aujourdâhui. Car en vérité, tous les rôles de lâépoque sont
là encore maintenant: une petite poignée de vrais militants infatigables,
isolés et/ou mal entourés, ensuite ceux qui font semblant de militer, qui
suivent le mouvement parce que câest la mode ou pour la gloire, ceux qui
trahissent de lâintérieur, les corrompus et avides de pouvoir et dâargent, le
dictateur qui veut être tranquille, ceux qui bénéficient de ses bontés, ainsi
que ceux qui lui dictent sa conduite et qui perpétue la formation en cours
dâemploi. Quâavons-nous donc appris des sacrifices des Héros
Nationaux camerounais et des autres? La question là nécessite une réponse sincère et sans
détour, avant de continuerâ¦Mais attention, demain est déjà là ! Rebecca Tickle, Journaliste |